Analyse : France, Rwanda et nous RDC !

Pitié pour les Congolais habitués à des réactions épidermiques là où l’analyse des faits exige plutôt rigueur et pragmatisme. La dernière (é)preuve en date est l’émoi suscité le 1er décembre 2022 par l’annonce, par l’Union européenne, du déblocage d’une enveloppe de 20 millions d’euros en faveur du Rwanda pour l’opération militaire entamée depuis quatre ans dans la province mozambicaine de Calbo Delgado en proie, on le sait, aux attaques d’un groupe terroriste ayant d’ailleurs des ramifications en RDC. La ville de Palma, révèle « PERSPECTIVE MONDE » dans sa livraison du 21 octobre 2021, « possède un projet gazier appartenant à l’entreprise Total qui vaut 20 milliards de dollars » et note : « Il était donc primordial que les militaires réussissent à sécuriser cette région  ». Il s’agit d’éléments de Rwanda defence force. Dans la même livraison, il y a cette information non moins importante : « D’ailleurs, on s’en rend compte, en général, que beaucoup de pays étrangers sont venus en aide au Mozambique, tels que les Etats-Unis, ceux de l’Union européenne et le Portugal » … 

RAPPEL ANNÉES 1990 : BOYCOTT DES PRODUITS FRANÇAIS

Les réactions des Congolais vont dans tous les sens, si bien qu’une crise entre Kinshasa et Paris est en voie d’être créée pendant qu’il est question d’une visite imminente d’Emmanuel Macron dans la capitale.

Déjà, les « nationalistes et patriotes » au sang chaud en appellent au retrait de la RDC les uns de l’OIF (quitte à renoncer aux lX° Jeux de la Francophonie), les autres de l’Eac pendant que tous s’abstiennent de préconiser aussi le retrait de l’Onu et de l’Ua, en plus de la rupture des relations diplomatiques avec tous les pays et toutes les organisations reconnaissant le régime rwandais. De quoi rappeler aux Zaïrois, au début de la Transition 1990-1997, le mot d’ordre de boycott des produits français (véhicules, appareils électroménagers, vin, vêtements etc.), mot d’ordre donné en…français !

Replier aujourd’hui le Congo sur lui-même a tout d’une battue lorsqu’on isole le gibier à abattre. Là, on fait pire avec l’isolement diplomatique *auto-imposé*. Le coup fatal est garanti.

ACCORD DE PRÉEMPTION

La bonne lecture à se faire aujourd’hui implique est la *re-visitation* de l’histoire ainsi que la perception du présent.

L’histoire (nous) ramène à Berlin 1885 où le face-à-face Sarvorgnan de Brazzaville et Henry Morton Stanley s’achève par un *accord de préemption* entre le roi Léopold II et la France, de sorte que s’il arrive au premier de renoncer à l’EIC (État Indépendant du Congo), la France a priorité sur tous les autres prétendants pour hériter de cette propriété privée.

En 1908, lorsque la Belgique reprend de son roi l’EIC et en 1960, lorsque le Congo-Belge accède à l’Indépendance, la France brandit son droit.

Pourquoi celui-ci n’a jamais été exécuté et pourrait ne jamais l’être ? D’aucuns soupçonnent les États-Unis (vrai propriétaire de l’EIC et vrai colonisateur du Congo-Belge) de bloquer les prétentions françaises. Après tout, la RDC est leur intérêt stratégique en Afrique, rappelait en 1997 Bill Richardson.

De toutes les façons, la vérité à retenir est que depuis 1960, la France continue de jouer un rôle prépondérant dans l’existence de la RDC en tant qu’Etat, se plaçant du côté des autorités gouvernementales chaque fois que le pays est menacé : sécession, rébellion, agression, mutinerie.

En 1978, par exemple, c’est la France qui permet aux troupes marocaines de sauver le Zaïre de la menace russo-cubaine partie d’Angola sous le couvert du Fnla. Le deal s’achèvera d’ailleurs par la création de Sotraz en contrepartie du cobalt, une sorte de « contrat sino-congolais » anticipé.

Pour être plus près de nous, c’est grâce aux Opérations *Turquoise* sous Mobutu (1994) et *Artémis* sous Joseph Kabila (2002) que la France est revenue sauver l’ex-Zaïre redevenu RDC. Si, toutefois, pour l’Opération Turquoise, l’objectif visible était essentiellement humanitaire, pour l’Opération Artémis, il s’est révélé économique (comme au Mozambique) et géostratégique.

En effet, à ceux qui se demandent pourquoi la France est active en Ouganda (notamment avec le Groupe pétrolier Total), au Rwanda et au Burundi, la réponse est simple : *se rapprocher de l’Océan Indien et agir*’. Car, après Djibouti, la France est totalement absente de la côte de l’Afrique continentale, de la partie orientale à la partie australe. Les pays qui composent cette côte après Djibouti sont la Somalie, le Kenya, la Tanzanie, le Malawi, Mozambique et l’Afrique du Sud. Même du côté de l’Atlantique, il y a encore l’Afrique du Sud, la Namibie et l’Angola. Des pays qui ne sont pas de son obédience.

Or, l’Océan Indien est l’un des axes principaux de la Route de la Soie.

SUICIDE POUR PARIS

C’est à ce stade que se perçoit le présent. Et encore, un présent rendu complexe par la *guerre d’Ukraine* devant, à terme, redessiner le monde.

Tenez !

Aujourd’hui, tous les pays européens membres du G27 sont effrayés par les conséquences de l’hiver à la suite des menaces russes de geler, sinon de réduire sensiblement la fourniture des produits pétroliers et gaziers.

Conséquence : on assiste à des remises en cause des fondamentaux sur lesquels sont basés des concepts comme Démocratie, Droits de l’Homme, Bonne Gouvernance, etc.

On a vu Emmanuel Macron boucler précipitamment son dernier séjour africain (Guinée Bissau) le 28 juillet 2022 pour s’en aller recevoir en grande pompe, en soirée de gala organisée à l’Elysée, le prince saoudien Mohammed ben Salmane devenu sur ces entrefaites Premier ministre.

Pourtant, MBS était mis au ban de la communauté internationale depuis quatre ans à la suite de l’assassinat du journaliste Khashoggi en 2018.

En raison de la guerre d’Ukraine, on voit de plus en plus les Occidentaux faire peu cas des  violations des droits de l’homme dans plusieurs pays producteurs de pétrole et de gaz. *C’est une question de survie* !

Pense-t-on, sincèrement, qu’Européens et Américains, redevenus solidaires du fait de Poutine, vont s’empoigner à cause du soutien de la France au Rwanda pour la sécurisation de leurs intérêts *communs*, au motif d’agression rwandaise en RDC via le M23 ?

Les Congolais devraient apprendre à se demander pourquoi les Occidentaux – qui ont passé plus de cent ans à aider leur pays à se construire – ont décidé de participer à sa déconstruction en réduisant leur coopération à l’ *humanitaire* ?

Dans le cas précis de la France, la pire humiliation qu’elle se refuse de subir dans les Grands-Lacs est celle connue sous le vocable « *syndrome de Fachoda* appelée aussi  » *crise de Fachoda* « .

Si en 1898 Paris avait cédé à l’influence anglo-saxonne, il n’est pas question, 124 ans après, d’empêcher sa présence dans l’espace où se joue l’avenir du monde. Pour Paris, Kigali est à 1.156 km des côtes kenyannes. Kinshasa y est à 4.135,2 km.

Son absence de la Route de la Soie est suicidaire.

QUI PENSE A L’APRES-AGRESSION, A L’APRÈS-M23, VOIRE A L’APRES-KAGAME ?

Et là, à défaut de compter sur le droit de préemption, la France est prête à tout schéma qui garantisse ses intérêts géostratégiques en Afrique Orientale et Australe.

Les cris d’orfraie des Congolais, elle s’en moque éperdument et va continuer à le faire tant que les « Kinois » n’auront pas la lecture réelle des enjeux parce que occupés, trop occupés à faire du ndombolo dans tout ce qu’ils entreprennent !

A preuve, combien sont-ils à réfléchir à l’Après-agression, à l’Après-M23, voire à l’Après-Kagame ?

Forte est la tentation de (re)dire : *personne* !

Conséquence d’une culture de naviguer à vue…

Omer Nsongo die Lema

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