
« Relation entre la Cour pénale internationale et l’Union africaine : avancée ou recul de la justice pénale internationale », c’est le titre d’un nouvel ouvrage de Me Jeff Kiovue Lubo, publié aux éditions universitaires européennes. Dans ce livre de 154 pages, l’auteur a, à partir de la doctrine, circonscrit l’évolution de la justice pénale internationale en faisant allusion aux tribunaux ad hoc qui ont précédé l’avènement de la Cour pénale internationale, juridiction permanente compétente pour lutter contre les violations massives les plus graves conformément au statut de Rome.
« Aux termes de la revisitation historique de la Cour pénale internationale et des rapports entre cette institution et l’Union africaine, il a été démontré que la relation qui étaient jadis harmonieuse entre ces deux institutions s’est détériorée au fil de temps », dit-il, avant de souligner que pour nous rendre compte de la collaboration et de la coopération entre les Etats africains et la CPI, nous nous sommes intéressés aux différents processus de ratification et de saisine volontaire de la Cour pénale internationale par les Etats africains.
Cela a démontré à suffisance que non seulement les africains ont donné naissance à la Cour pénale internationale à travers les différentes ratifications, mais aussi et surtout lui ont donné corps à travers les différentes saisines volontaires. Sur base des ratifications, conformément à l’article 125 du statut de Rome, les Etats africains ont successivement et presqu’à la même période, accepté non seulement de participer à la création de la cour, mais aussi et surtout de coopérer avec celle-ci.
La lutte en faveur du droit et de la justice internationale avait donc franchi une étape importante aux termes de la 60ème ratification par la République Démocratique du Congo et l’entrée en vigueur le 01 juillet 2002 du statut portant création de la Cour Pénale Internationale, une Juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées d’avoir commis les crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’agression.
A l’en croire, du tribunal pénal international pour le Rwanda, au tribunal spécial pour la Sierra Léone en passant par les chambres extraordinaires africaines au sein des juridictions Sénégalaises, les impératifs du droit international pénal se sont peu à peu imposés à la population africaine qui n’a pas vu en son temps d’objection à l’application de celui-ci, mais bien au contraire l’ont encouragé en raison des nombreuses violations graves des de droits de l’homme.
Ces beaux temps n’ont pas perduré, car au fil de l’évolution de la Cour pénale internationale, les relations entre celle-ci et les Etats africains réunis au sein de l’Union africaine, se sont détériorées.
Des tensions entre la CPI et l’UA
Selon Jeff Kiovue, ce « Musongie mukielengie », entendez-, le songye est roi, plusieurs raisons ont été avancées par les Etats africains pour justifier l’origine des tensions entre la Cour pénale internationale et l’Union africaine et parmi celles-ci, nous avons cité principalement les allégations des poursuites discriminatoires et celles sélectives.
Ces poursuites, à la base des tensions entre ces deux organisations, loin de constituer une avancée de la justice pénale internationale, en constitue un recul dans la mesure où perçue comme telle, la CPI est considérée désormais par certains Etats comme une Cour raciste, une Cour à double vitesse.
Cet état de choses a amené l’Union africaine à développer des mécanismes de résistance contre cet instrument international, passant de l’appel à la non coopération avec la Cour, à l’appel au retrait collectif des Etats africains et finalement à l’idée d’expérimenter la justice pénale internationale par une régionalisation du système de justice internationale en créant un mécanisme régional compétent pour lutter contre l’impunité des crimes internationaux commis en Afrique. Il s’agit notamment de la Cour Africaine de Justice et de Droit de l’Homme.
Ainsi, l’idée se résume à juger au nom de l’Afrique, par l’Afrique et pour l’Afrique. Il faut cependant souligner que cette expérience de régionalisation ne sera pas une première pour le continent puisque le procès d’Hussein Habré par les Chambres extraordinaires africaines, servira d’exemple par lequel l’Afrique pourrait désormais juger elle-même ses propres dirigeants.
Pour l’UA, le jugement des chambres prend une résonance particulière, celle qui montre que la création d’une CAJDH ne sera pas un échec, car la première expérience de justice pénale internationale en Afrique a été une réussite.
C’est en cela que ce jugement a été un message fort et revêt une valeur historique et symbolique. Historique, car c’est la première fois en Afrique qu’un ex chef d’État est condamné pour crimes contre l’humanité, crime de guerre et torture en application de la compétence universelle et symbolique car l’Afrique prend conscience de la nécessité d’en finir avec le fléau de l’impunité.
Dans l’entendement des Etats africains, insiste-t-il, cette régionalisation de la justice internationale ne signifie pas pour autant que la CPI sera privée d’intérêt, mais elle demeurera toujours une juridiction secondaire, rappelant à l’ordre ou jouant le rôle de gendarme dans le cas ou ni les juridictions nationales, ni la CAJDH n’interviennent dans la répression de crimes internationaux. Ces juridictions travailleront de concert, chacune se limitant à ses statuts pour faire face à l’impunité du crime international en Afrique, même si l’on imagine que des divergences feront rapidement surface quant à la question de l’immunité.
Même s’il demeure encore des améliorations à introduire pour que la Cour Africaine de Justice et des droits de l’homme parvienne à l’efficacité attendue, grâce aux chambres africaines, l’UA semblait avoir joué la bonne carte vers l’émergence d’une justice pénale régionalisée.
En réalité, pense le chefs des travaux à l’Université de Kinshasa (Unikin), tous ses éléments constituent ni plus, ni moins un recul de la Cour pénale internationale dans son fonctionnement et dans son administration de la justice pénale internationale.
CPI, une institution dont l’existence est indispensable
Cependant, constate Jeff Kiovue, malgré les incohérences constatées entre les principes fondamentaux de la Cour que sont l’autonomie, l’impartialité, l’indépendance et la réalité de leur application, il n’en demeure pas moins que la CPI est une institution dont l’existence est indispensable pour assurer le respect des valeurs communes à savoir la répression des crimes affectant la communauté internationale.
Les vraies causes de rupture de coopération entre les Etats africains et la Cour pénale internationale restent dans l’ombre. L’on ne saurait pas en se fiant simplement aux discours populistes des dirigeants africains, percevoir les vraies causes de ce désamour, il fallait plutôt les rechercher dans l’histoire ou tout simplement dans la culture de l’homme africain lui-même.
Ainsi donc, au-delà de toute thèse qui traiterait la Cour pénale internationale d’un instrument d’impérialisme des grandes puissances pour le néocolonialisme de l’Afrique, la Cour a jeté les bases d’une justice pénale internationale permanente et dissuasive. Les différentes décisions de non coopération et de retrait collectif, ne sont que des refus de justice et de peur d’éventuelles poursuites pénales contre les auteurs des crimes relevant de la compétence de la Cour.
La réaction de l’UA s’apparente à une campagne de discrédit, pourtant en tant qu’institution continentale par excellence, elle se doit de s’assurer des capacités judiciaires des Etats africains à participer pleinement à la lutte contre l’impunité par une action pénale. Ce n’est que lorsque ces derniers ne s’en acquittent pas qu’il est tout à fait inévitable et ce conformément au Statut que la Cour prenne le relais.
La complémentarité et la subsidiarité de la Cour pénale internationale, sont des éléments qui à notre avis constituent la réponse aux réactions des Etats africains réunis au sein de l’Union africaine. La bonne administration de leur justice respective devrait être la réponse aux critiques soulevées contre la Cour pénale internationale.
Toutefois, les tensions actuelles entre cette institution pénale et l’UA ont fait ressortir les obstacles techniques, juridiques, politiques et administratifs auxquels des solutions appropriées ont été proposées afin de ne pas entrainer la fin de la seule institution permanente au monde qui se tient en garde-fou pour réprimer les crimes internationaux.
Ainsi, l’on a proposé pour assurer l’efficacité de la Cour pénale internationale, sa pérennité et l’avenir de relations meilleurs avec les Etats africains, qu’une action commune soit menée afin de permettre aux instances judiciaires nationales d’être en mesure d’agir en application du principe de la complémentarité et qu’une solution soit trouvée afin de permettre à la Cour d’intervenir un peu plus ailleurs qu’en Afrique.
Cela passe d’une part, par la nécessité d’un renforcement des capacités des institutions judiciaires nationales à travers l’aide de la Cour pénale internationale et l’amélioration de la coopération avec les Etats africains et d’autre part l’élargissement du champ d’action de la Cour pénale internationale par la ratification globale du statut de Rome et l’autonomie de la Cour vis-à-vis du Conseil de sécurité.
Leave a Comment