
62 ans après l’indépendance, quel est l’état actuel du chemin de fer et par où faut-il commencer pour relancer le transport ferroviaire en Rdc? C’est autour de ces questions qu’a tourné l’échange entre M. Hyacinthe Dzogolo Mbangu, expert en import et export avec trois journalistes dont Raphaël Walukonka de Infos 243, Oscar Kabamba de la Rtnc et Jean-Marie Nkambua de L’Avenir. A en croire l’expert, l’état du chemin de fer est une conséquence d’une situation économique qui a plutôt régressée. Pour lui, le développement part de la production et le chemin de fer doit venir comme une solution de mobilité des biens et des personnes. Sinon, il ne sert à rien aujourd’hui d’avoir un chemin de fer s’il n’est pas rentable. Il a fustigé le manque d’investissement dans le secteur, sans oublier le déficit en termes de main-d’oeuvre qualifiée.
62 ans après, quel est l’état des lieux que vous pouvez faire des chemins de fer en Rdc ?
Hyacinthe Dzogolo Mbangu: La situation est un peu comme tout le pays, en difficulté. L’administration coloniale avait construit le chemin de fer, là où les voies naturelles de navigation ou de route n’étaient pas praticables. Je parle du parcours Matadi-Kinshasa, il y a la navigation qui n’est pas possible par le fleuve Congo. Je parle d’Ubundu-Kindu, la navigation sur le fleuve n’est pas possible. Je parle du réseau le plus important dans le sud-est au Katanga où les cours d’eaux ne sont pas aussi abondants que dans la cuvette. Pour l’évacuation de tonnage des minerais, on a un réseau de plus de 3.500 Km dans le Sud-Est. L’état en général n’est pas bon aujourd’hui. Il y a les chemins de fer qui va de Bumba-Aketi.
Qu’est-ce qui justifie cet état de choses où nous avons un grand pays aux potentialités énormes, mais qui n’a pas un chemin de fer digne pour faciliter les échanges entre provinces ?
L’état de chemin de fer est une conséquence d’une situation économique qui a plutôt régressée. Peut-être qu’en 1959, c’est la meilleure année. Vous allez voir tous les secteurs de production. Au niveau de l’Union minière du Haut Katanga, on exportait tout : de l’huile de palme, du café, du coton et le tonnage était important. Depuis l’accession du pays à l’indépendance, la situation a dégénéré, il y a des situations qui ne permettent pas une production soit agricole, soit minière. Et la conséquence est que les charges d’entretien du chemin de fer qui sont fixes, ne peuvent plus être assumées et l’état du chemin de fer subit les effets de la conséquence de l’absence de production en amont.
C’est comme si vous liez le chemin de fer à une économie florissante ?
Je voudrais bien insister que le développement doit partir de la production et le chemin de fer doit venir comme une solution de mobilité des biens et des personnes. Il ne sert à rien aujourd’hui d’avoir un chemin de fer s’il n’est pas rentable. Combien de gens voyagent ? Combien de gens peuvent payer le voyage au prix réel ? Dans le chemin de fer de Kinshasa-Kasangulu, c’est un prix symbolique et qui ne permet pas au transporteur d’assurer toutes les charges et l’entretien. Je lie l’activité économique, la production à la situation du chemin de fer. Le chemin de fer Matadi-Kinshasa a un personnel d’entretien et des charges fixes. Mais lorsqu’il n’y a pas de trafic, l’état ne peut que se dégrader. Je pense que les deux sont liés. Il faut qu’on retrouve la situation de production. Il y a quelques années, le chemin de fer Matadi-Kinshasa tirait profit de la situation d’exploitation du cuivre qui quittait le Katanga vers Ilebo, et qui prenait l’eau jusqu’à Kinshasa. A Kinshasa, on avait un tonnage assuré pour les rails. Il faut trouver de quoi transporter et c’est à partir de là que l’on peut entretenir le chemin de fer. L’investissement a déjà été fait, il faut l’entretenir et on peut entretenir que lorsqu’on a une activité.
Si on veut reprendre le transport par voie ferrée, par où devrons-nous commencer ?
Nous avons 350 Km qui sont indispensables. Notre pays qui est presque enclavé, n’a d’accès à la mer que par Banana. Il y a au départ de Kinshasa, la difficulté de naviguer, on a que la route et me chemin de fer. La route était prévue pour être un secours au cas où il y avait des activités particulières pour le chemin de fer. Et la voie tout à fait indiquée, c’est le chemin de fer. Le chemin de fer Matadi-Kinshasa a été construit pour assurer un trafic de 5 millions de tonnes l’an. Il y a 35 ans lorsque j’ai été engagé, on faisait 1 million, à 1,2 million des tonnes l’an, c’est-à -dire en moyenne, 90 à 100.000 tonnes l’an. Aujourd’hui, je suis triste de vous dire que quand on réalise 10.000 tonnes le mois, soit 120.000 tonnes l’an, on est heureux d’avoir fait quelque chose. Il faut commencer par là . Parce que tout ce qui est produit ou importé, passe par la route et la route est coûteuse et ça se répercute sur les consommateurs. Si vous prenez 10 containers par voies de rail, vous attendrez Kinshasa à moindre coût que si vous le faite par route. Il faut commencer par Kinshasa-Matadi, réhabiliter ça. 2ème priorité, les zones minières. Il faut réarranger tout le réseau du Sud-Est, de l’ex-Katanga en général. Evidemment, n’oubliez pas les gens du Nord, parce que le grenier de notre pays c’est l’Ituri. Il faut amener toute la production vers Kisangani, le centre de consommation. Le réseau de chemin de fer interurbain. Nous avons déjà l’avantage vers les années 80 d’avoir 50 Km de rail, donc on partait du centre-ville vers l’aéroport, du centre- ville vers Matete et du centre-ville vers Kinsuka. Le centre-ville à Kitambo, la voie n’existe plus et vous pourrez vous arrêter à Kintambo. Et même là , si vous passez par Socimat, il n’y a plus de rail. Pour ce qui concerne les routes, il y a les routes nationales et provinciales. En ce qui concerne les routes de desserte agricoles, elles méritent toute notre attention. Au lendemain des rebellions des années 60, on parlait de l’exode rurale. Une ville qui ne comptait pas 1 million d’habitants au 30 juin 1960 et il y a une explosion démographique. Ça se traduit par le fait que tous nos villages ont été abandonnés. Il y a une autre raison, quand les villages sont abandonnés, c’est parce que le paysan a des difficultés pour évacuer ses productions, parce qu’il n’y a aucune voie de desserte carrossable et qui permette au paysan de vendre son produit à un véhicule qui passe. Ça c’est un autre chapitre. Ceci ne pouvait pas permettre d’amener la récolte dans un point où elle serait transportée dans le train.
Vous conditionnez le retour du train par la production économique ?
Ils sont liés. Si le Gouvernement peut prêter attention au chemin de fer Matadi-Kinshasa, l’importateur peut avoir le choix entre la route et le rail. Je suis sûr que dans ces conditions, lorsque le gouvernement va investir, l’importateur ou l’exportateur peut recourir au rail et ça peut donner un équilibre. Le rail doit s’entretenir et l’entretien ne peut venir qu’à la suite des produits de son trafic. La question est claire, il faut qu’on décrète la priorité Matadi-Kinshasa, tout le monde passera par là et le chemin de fer aura des revenus pour se maintenir. Ils sont liés.
Quelles sont les causes qui ont impacté négativement l’infrastructure qui existait ?
Je ne vais parler que du chemin de fer Matadi-Kinshasa que je connais bien depuis 85. Nous avons assisté à la période où nous sommes partis de 90.000 à 100.000 tonnes à aujourd’hui 4, 5 ou 10.000 tonnes. Qu’est-ce qui se passe ? A l’heure qu’il est, le parc des locomotives du chemin de fer Matadi-Kinshasa est inférieur à 10, alors qu’à l’époque, les locomotives que nous appelons de grandes lignes, qui sont affectées au transport de grands tonnages, étaient au moins au nombre de 22 (les locomotives de transport et de matériels). Tout ce parc s’est amenuisé. Quelle est la raison ? Les difficultés d’entretien, les charges fixes auxquelles on ne peut déroger. Vous ne savez pas entretenir la locomotive, vous ne savez pas renouveler le parc. A l’heure qu’il est, il y a insuffisance de parc. Quand nous avons commencé à travailler, nous avions un parc de 3.000 à 5.000 wagons pour le chemin de fer Matadi-Kinshasa. Aujourd’hui, s’il y a un nombre, c’est inférieur à 200. Vous avez des ratios. Vous avez le matériel d’entretien, nous avons des engins destinés au transport du personnel d’entretien de convoi ou de parcours de 150 Km. Aujourd’hui, sur Matadi-Kinshasa, on a en 2 ou trois engins, pour couvrir la distance et deux qui ne sont pas en bon état. La raison, lorsque vous n’avez pas une politique de renouvellement des pièces de rechange… ça ne suffit pas d’avoir le matériel, il faut avoir avoir le personnel. Moi, j’ai été engagé à la suite de quelqu’un, dont j’ai été dauphin. A l’heure où je m’apprête à prendre ma retraite, je n’ai pas de dauphin. Il y a une politique de recrutement du personnel qui n’est pas suivie. Nous avons été engagés dans une série d’un plan quinquennal de 82 à 87-88 financé par la Banque mondiale. Il y avait un deuxième plan de modernisation et de l’argent, 140 millions de dollars. La Banque mondiale, quand elle amenait de l’argent (achat de locomotives, de wagons, renouvellement de la voie), on a conseillé également le rajeunissement du personnel. D’ailleurs, à certains niveaux, le recrutement des universitaires. Cette politique n’a jamais été suivie jusqu’à ce jour. C’est l’une des causes. Il y a la politique d’entretien, le renouvellement du personnel et même le rajeunissement du personnel. Pour partir aujourd’hui, il faut prendre en compte tous ces facteurs. Il faut repartir de zéro.
Quid de Métrokin
Comme tout habitant de Kinshasa, j’ai appris qu’il y a Métrokin. Kinshasa ne comptait pas plus de 500.000 habitants en 1960. Moi je me rappelle que vers les années 70, le réseau de transport urbain, permettait à un habitant de la commune de Matete de prendre son bus le matin, d’arriver à la Fonction publique, à 12 heures de prendre son bus pour aller manger à la maison et à 14 heures, de prendre le bus pour arriver. Ça veut dire que le parc automobile et la voirie existante permettaient cette circulation. C’est comme si aujourd’hui vous allez à Kisangani, à Mbandaka et Kananga. Je ne parle même pas de Lubumbashi qui suit pratiquement Kinshasa et où il y a un trafic intense. Depuis un certain temps, il y a une explosion démographique et même lorsque vous avez votre propre voiture, vous n’êtes pas heureux. Il y a des gens qui quittent chez eux à 4h – 5h pour échapper à tout ce qu’on a comme difficulté pour arriver en ville. Le soir, vous les voyez remplir les bistros en attendant que le trafic baisse pour sortir de la ville après 21h. Il se pose d’énormes problèmes de circulation automobile à Kinshasa. Le parc automobile a augmenté, la voirie ne s’est pas développée. On a eu des tentatives de saut-de-mouton, ça amélioré un peu. Il faut penser aux solutions qu’on a dans les grandes villes, c’est-à -dire, les Tramway ou les métros. L’idée de faire Métrokin est excellente et je dis plutôt que nous avons déjà trois axes existants. Je dois vous dire que comme on n’a pas fait de réservations, il y aura des difficultés en termes d’expropriations.
Est-ce qu’il y a possibilité de relier le Congo par le chemin de fer ?
Dans tous les pays pays du monde, lorsque pour des besoins d’utilités publiques il est nécessaire d’exproprier les citoyens, lorsqu’on va décider d’augmenter les réseaux ferroviaires, lorsqu’il faut passer sur les propriétés, on va appliquer la loi sur les expropriations. Relier tout le Congo, c’est toujours possible. L’administrateur colonial, c’est quelqu’un qui a analysé. Là où il y avait des voies naturelles, le Fleuve et le Kasaï, il ne faisait que baliser, il a utilisé le boulevard naturel. On a construit le chemin de fer que là où il n’y avait pas des cours d’eaux. Il y avait aussi un bon réseau routier. Le héros national partait de Kinshasa par voiture vers Kisangani. La voie était carrossable. Il y avait des bacs. On pouvait partir de Kinshasa à Kisangani par voie de route, on faisait moins d’une semaine. Maintenant par voie ferroviaire, il faut juger l’opportunité et je crois que ce n’est pas nécessaire.
Vous attendez que la situation se dégrade, où-est-ce que vous étiez lorsque la situation se dégradait ?
La question des ressources humaines, il faut une politique guidée par un même planning qui prévoit le renouvellement des effectifs. Depuis 88, le recrutement n’obéissait plus à certaines règles. Il y avait un volet financé par la Banque mondiale avec une assistance de compétences locales insuffisantes, on faisait recours aux Assistants et ça se passait bien. Depuis un certain temps, l’assistance est partie et il n’y a pas eu d’efforts qui se faisaient. On peut dire qu’il y a eu un recrutement massif l’année dernière, mais comparé au recrutement massif du temps où nous, on commençait, il n’y a rien de pareil. On n’a pas répondu vraiment à certains critères et ça s’ajoute à nos difficultés.
C’est même culturel. Ces derniers temps je veux dans les villages. Chez nous, il est difficile de trouver une maison, et on vous dit que c’est 3 à 4 générations qui y ont habité. Nous sommes dans la culture de papier mouchoir et usage unique. Ça traduit que la notion de la maintenance, nous ne la maitrisons pas. Il y a peut-être nous les ingénieurs qui sommes fautifs, mais il y a aussi ceux qui gèrent qui ne nous écoutent pas quand on prévient. La bonne politique de maintenance fait défaut.
Propos rendus par Jean-Marie Nkambua
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