
Fidèle à ses habitudes lorsqu’un débat ou problème se pose dans la société congolaise, le Professeur Nicot Omeonga, en sa qualité d’expert en économie, économiste de formation, expert en finances publiques et chercheur et auteur de plusieurs ouvrages et surtout de Professeur d’université, ne cesse d’apporter sa contribution. Cette fois-ci, il donne son avis sur le projet de budget 2023 de la République Démocratique du Congo déposé au Parlement par le Gouvernement Sama Lukonde se chiffrant à 14,6 milliards de dollars, la crise mondiale due à la guerre Russie-Ukraine et la pénurie des produits pétroliers qu’a enregistré le pays dernièrement.
Réaction du Professeur Nicot Omeonga à propos du budget
Intervenant dans la tribune d’une chaîne de la place, le Professeur Nicot a réagi en ces termes en ce qui concerne le budget 2023 déposé au parlement et comment il a accueilli la nouvelle : ‘’On parle même qu’il y a eu accroissement de 2,3% et 6 % par rapport au budget précédent ou budget en cours, si on regarde les besoins que représente ce pays, par rapport à ce budget chétif, la nouvelle me semble ne pas être bonne. Si on doit comparer par rapport à nos voisins l’Angola qui a presque le 1/3 de la population congolaise, avoisine un budget de 40 milliards de dollars. Et que nous, nous sommes presque le 1/3 de l’Angola, je me dis que la nouvelle n’est pas bonne. Et ça n’augure pas des perspectives heureuses à mon sens. C’est vrai, j’ai toujours été optimiste de nature. Mais pour cette question précise, je préfère être un optimiste déçu parce que la nouvelle n’est pas bonne’’.
Que représente un budget pour une nation et quelles sont les procédures d’élaboration d’un budget ?
‘’Il y a deux approches dans l’élaboration d’un budget. L’approche à laquelle moi j’ai toujours souscris, c’est cette approche qui considère que pour élaborer un budget, on doit partir de la base. C’est-à-dire de la base au sommet. Les besoins doivent être exprimés de la localité jusqu’au niveau des provinces et jusqu’à la capitale. Quand on répertorie les besoins exprimés dans les différents secteurs et par différentes populations, et on les chiffres. Et deuxième chose, maintenant l’on recherche les moyens pour financer les besoins exprimés. Les défis qui sont là et l’on cherche les moyens pour relever ces défis. Ça, c’est un bon budget à mon sens. Mais il y a une autre approche à laquelle nous nous habituons en Afrique et particulièrement en RDC. C’est cette approche qui dit voilà la cagnotte, voilà les moyens que nous pouvons mobiliser. Le budget a toujours un caractère prévisionnel. C’est qu’on présente là, ce ne sont pas les recettes réelles. Ce sont les recettes prévisionnelles, des dépenses prévisionnelles. Ça peut être changé par rapport aux assignations. On dit qu’on va mobiliser autant mais il y a des impondérables comme dans les pays où la gouvernance intègre n’est pas toujours au point, peut-être ce qu’on nous a habitué ici le coulage des recettes, donc on risque de ne pas atteindre les assignations (les recettes telles que prévues risquent de ne pas être atteintes). Je disais, la deuxième approche voilà les moyens que nous comptons mobiliser. Maintenant, sur base de ces moyens-là, nous essayons de hiérarchiser les besoins en présence et nous affectons ces moyens par rapport aux besoins exprimés. Donc, on n’a pas consulté. Un budget très démocratique, c’est un budget qui consiste à aller d’abord demander à la base qui exprime ses besoins lesquels sont quantifiés et chiffrés. Et l’on cherche les moyens pour financer. Mais ici, ce n’est pas le cas. Très souvent, la conférence budgétaire dont on parle, ce sont des experts qui sont dans des bureaux climatisés et qui sur base des données (ils tiennent compte des agrégats macro-économiques tendance, la conjoncture actuelle sur le plan mondial, croissance comment le cours des matières premières…) sur base de ça, on élabore en tenant compte du budget passé. Et si jamais il y a eu encore des réformes, si la tendance a été d’améliorer la gouvernance, donc il y aura des recettes qui peuvent se dégager par rapport à l’année précédente. Donc, on suppose que si hier on mobilisait 100 dollars, aujourd’hui on peut mobiliser 150 dollars. C’est sur base de cette projection qu’on arrive à élaborer un budget au niveau du gouvernement. Ce budget là qui est élaboré au niveau du gouvernement quand il va au niveau du parlement et qu’il est voté, c’est alors qu’on parle de la loi des finances.
Quel rôle doit jouer l’Assemblée nationale ?
Le parlement, c’est l’autorité budgétaire. Nous sommes dans une démocratie représentative. Le budget en réalité, ce sont des moyens qui doivent être mobilisés par le gérant. On a le mandant (peuple souverain) et les mandataires. Le mandant (peuple souverain toujours) qui a ‘’placé’’ des mandataires (gérants). Ces gérants qui, avant de s’engager à quoi que ça soit, doivent recourir au propriétaire (peuple). Or, comme on ne sait pas demander aux 100 millions de congolais, on va vers l’Assemblée Nationale et le Sénat (ce sont les représentants du gérant). Ici, il y a à redire parce que ceux qui sont à l’Assemblée Nationale, est-ce qu’ils sont réellement représentants du peuple ? Nous savons de quelle manière ils sont arrivés là. Pour la plupart, ce sont des gens qui ont été nommés au lieu d’être mandatés, au lieu d’être élus. Supposons que ce sont des représentants. C’est ainsi que le gouvernement qui n’est qu’un simple gérant va auprès de l’Assemblée Générale pour requérir le quitus, il présente le budget pour obtenir l’onction des représentants du peuple. Et quand il a reçu l’onction du représentant du peuple, il peut maintenant agir au nom et pour le compte du peuple. Malheureusement ça n’a toujours pas été le cas. Voilà la procédure. Le budget a été élaboré, ça doit être adopté à l’Assemblée Nationale. D’abord la plénière reçoit le budget. Et il s’en suit un débat où chacun émet un avis. Ça peut prendre une ou deux semaines. On prend la conclusion du débat on l’amène à la commission Ecofin (là on a des économistes, des financiers et fiscalistes) qui va retravailler par rapport au débat qu’il y a eu lieu. Et elle revient encore à la plénière pour présenter les conclusions de ses travaux. Une fois adopté on envoie au Sénat. Si le Sénat fait aussi le même travail (qu’on appelle la navette parlementaire), le Sénat aussi va adopter. Si c’est adopté en des termes identiques là, le budget sera envoyé à la présidence de la République après avoir reçu le quitus de la Cour Constitutionnelle. Ainsi, le Président de la République prend une ordonnance et publie le budget et le journal officiel rend public. Quand c’est publier par le Journal officiel, ça devient une loi opposable à tous. Quand vous regardez tout ça, le peuple n’est pas directement associé. Mais dans d’autres pays, comme ce sont des gens qui ont réellement reçus mandat du peuple et qui travaillent au nom et pour le compte du peuple, on fait confiance parce que en démocratie, c’est une démocratie représentative. On donne toujours mandat à d’autres. Après avoir élaboré et publier, il s’en suit l’exécution du budget. Quand on l’exécute, c’est par rapport à la prévision des recettes et des dépenses. Mais à la fin de l’exécution, il y a le contrôle pour voir si ce qui a été prévu il y a des gaps, déficit budgétaire etc.
Comment affecte-t-on le budget ?
C’est le gouvernement qui sait quelles sont les priorités, les urgences…vient par exemple dire que nous sommes en guerre, nous devons affecter le gros des moyens à la sécurité du pays pour terminer la guerre à l’Est. Il y a aussi la grogne sociale. Pour bien comprendre, le budget a trois rubriques : les dépenses de développement. Ce sont des dépenses d’investissement. Dans des pays bien organisés, c’est cette rubrique qui prend en compte le gros du budget. On a les dépenses sociales, il y a des images qui circulent dans les réseaux sociaux. Un médecin malmené par un policier. Dans cette rubrique on paie les fonctionnaires, les militaires, les magistrats, les médecins etc. il y a aussi des dépenses de souveraineté, ce sont des dépenses politiques pour maintenir des institutions politiques. Malheureusement, dans notre pays, c’est là où le bât blesse. Dans le budget, on doit avoir l’équité. Ce n’est pas normal que dans un même pays, qu’on ait des gens qui touchent 21.000 $ et qu’il y ait d’autres qui touchent moins de 100 $. C’est là aussi question de justice sociale et d’équité. Ils sont censés représenter le peuple. Nous avons des pays tels que la Chine où les Députés n’ont pas des émoluments. Le mal dans notre pays, on considère quand on est Député, c’est une fonction. Non, c’est un service. Quand on est ministre, on rend service à la nation. On a comme moi (professeur), c’est votre fonction comme gagne-pain. Vous venez comme député national, c’est pour rendre service. Ici, on a tout renversé. Les gens pensent aller dans des institutions, c’est pour faire carrière, c’est un job alors que la carrière politique en elle-même c’est de l’apostolat. On vient pour rendre service. Personne n’a demandé qu’on a besoin de tous ces députés. Vous êtes venus de vous-mêmes pour rendre service. Comment vous revendiquez 21.000 $ ? C’est un non-sens, c’est une question d’éthique. Malheureusement dans ce pays le ridicule ne tue pas. Comment toi qui est supposé représenter la population qui t’a élu, tu veux que cette population ait moins de 100 $ et que toi tu t’octroi la part du lion de 21.000 $. Mais si on ne veut pas baisser, mais relève les autres corps. C’est tout ce que nous demandons. Or, comme on ne veut pas relever on risque de fragiliser l’équilibre budgétaire. Donc, le mieux à faire, c’est la réduction de train de vie. On maintient par exemple 500 députés mais on donne à un député 4 ou 5000 $. Quant au gouvernement, comment un pays en guerre on a plus de 60 ministres ? Là, c’est seulement au niveau national mais quand vous ajouter au niveau provincial, vous avez 260 ministres provinciaux. Un pays où vous avez 320 ministres, ce quel pays ? Un pays pauvre, sous pauvre, l’Angola a 40 milliards. La Banque mondiale dit n’est pauvre que celui qui vit avec 3 dollars par jour. Or, la RDC 2,…la moyenne c’est autour de 2 $. Nous sommes en de ça de cette pauvreté absolue. Pourquoi ce gouvernement éléphantesque ? Pour quel objectif et pour quel résultat ? Ramenez même à 20 ministres. Nous sommes un pays des ministres (320 ministres) et chaque ministre a son cabinet. Je n’ose pas parler combien des conseillers à la Présidence de la République, à la Primature. Mais tout ça, ce sont des dépenses budgétivores. Avec ces gens, il n’y a aucun résultat. Ça fait 4 ans qu’ils sont là. Quel est ce congolais sérieux qui peut se reconnaître dans la gouvernance actuelle ? Personne. On a eu des procès bidon de détournement 100 jours, EPSP. Quand l’IGF traque les détourneurs, où va l’argent ? On a vu des gens qu’on amène en prison, deux jours après ils sont malades ou soit on sollicite la liberté provisoire. Quel est impact ? Encore, l’IGF doit être équitable. Mais je trouve que son travail est sélectif. Si on ne traque que dans un camp. Le travail de l’IGF est tellement médiatisé mais le résultat n’est pas toujours au rendez-vous. Il ne suffit pas seulement de médiatiser qu’on a arrêté telle personne parce qu’il a détourné, mais la meilleure à médiatiser, c’est ce qu’il a ramené. C’est à ce point-là que je pourrai dire qu’Alingete a fait du bon travail. Mais si c’est seulement médiatisé les arrestations ou patrouilles financières. Mais quand ils patrouillent qu’est-ce qu’ils nous ramènent dans la marmite ? Rien. Alors j’attends. Et d’ici 1 an, ce régime devra céder à un autre régime. Donc, Alingete n’aura pas fait son travail. On a cru qu’il est venu pour que la gouvernance soit améliorée, mais je vois qu’il n’a pas fait suffisamment’’.
Revenant sur les affectations du budget, le Prof Nicot Omeonga précise : ‘’Les dépenses politiques qu’ils appellent les dépenses de souveraineté, c’est ce qui tue ce pays parce que le gros des moyens, c’est pour entretenir les institutions politiques. Alors que le gros des moyens devrait être orienté dans le secteur productif’’.
Le budget serait-il un support important dans l’émergence et la croissance d’un Etat ?
Pour le Prof Nicot Omeonga, c’est un instrument de gestion qui est axé sur le résultat. Aucune dépense de l’Etat ne peut se faire en dehors de ce qui a été prévu. Toute dépense a une autorisation au préalable. Et on l’obtient du Parlement parce que l’on suppose qu’un gérant ne peut pas et ne peut faire au-delà de ce que le propriétaire l’a autorisé. Comme le budget mais dans une sorte de synergie le gouvernement et le parlement, si l’on a été dans un contexte de démocratie réelle, on suppose que ce que le gouvernement est en train de dépenser, c’est autorisé par le peuple par le biais de ses représentants. Mais dans ce pays, il y a des dépenses qui sont non budgétées (Bukanga Lonzo et autres). Dans ce pays, on nous a habitués avec des dépenses qui ne sont pas prévus dans le budget. C’est un détournement. C’est au niveau du parlement qu’on fait le recadrage’’.
Quid du financement du budget
Le Prof Nicot Omeonga explique qu’on a trois sources de financement du budget. Il y a les fonds propres (le budget est financé par la fiscalité =tous ce qui est prélevé on a trois régies financières DGDA, DGRAD et DGI qui sont chargés de collecter des recettes publiques. Le budget peut aussi recourir au financement externe. C’est l’emprunt auprès des institutions de Bretton Wood, BAD, coopération multilatérale, bilatérale auprès des créanciers comme les clubs de Paris ou de Londres. Il y a aussi le financement monétaire qu’on ne conseille pas trop et que nous appelons en jargon économique la planche à billet. Ici, si c’est orienté vers par exemple dans le secteur productif comme l’agriculture, ça peut avoir des effets d’entrainement. Mais si c’est orientés pour payer les fonctionnaires ou les dépenses de consommation, là il y aura des répercussions fâcheuses, on va assister à l’inflation, faire monter le prix et désarticuler les activités économiques. Jusque-là on ne sait pas la ventilation du budget. Il parait que sur les 14,6 milliards, il y a au moins 10 milliards 300 millions qui relèvent des fonds propres. Mon collègue Luzolo Bambi a dit qu’il y a 15 milliards que la RDC perd chaque année. Donc, Il y a de l’argent qui finit dans les poches des gens alors que cet argent devait être orientés dans le trésor public et gonfler le chiffre. Généralement le taux d’exécution du budget c’est autour de 60 %. Si on mobilise 100 % de recettes, c’est une chose. Et les 4 milliards que nous attendons de l’extérieur, généralement ça n’arrive toujours pas. On fait des promesses par nos partenaires extérieurs, peut-être ils vont libérer 1 milliard. Au finish, au lieu d’avoir 14 milliards comme on le prévoit, à la fin de l’année prochaine on va se retrouver peut être avec 8 milliards ou 10 milliards de recettes réellement mobilisées. Donc, ce budget-là par rapport à nos besoins, ça ne représente pas grand-chose.
Antoine Bolia
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