
Cet article est une analyse bibliologique de l’ordonnance n°21/012 du 12 avril 2O221 portant nomination des vice-premiers ministres, des ministres d’Etat, des ministres, des ministres délégués et des vice-ministres de la République démocratique du Congo qui totalise un an de vie ce 12 avril 2O221. C’est le deuxième gouvernement du nouveau régime composé théoriquement sans les partisans de Joseph Kabila et ce, après rupture de l’alliance FCC – CACH.
Cette ordonnance postule l’idéologie d’une nouvelle administration publique congolaise. Cette postulation a son pesant d’or dans la mesure où Mabika Kalanda (1965 : 58) montre qu’ « outre la machine, ce qui caractérise une société moderne, c’est d’être à tout moment capable de concevoir les idées, les croyances et techniques en mesure de maintenir le phénomène social et d’augmenter la cohésion sociale ». L’ordonnance n°21/012 du 12 avril 2O221 est donc une invention de la nouvelle image de la Fonction Publique et de l’Agent public de l’Etat pour un service public digne de ce nom et ancré dans la culture politique de progrès, de vérité et de justice.
De ce point de vue, la nomination d’un citoyen ou d’une citoyenne à un poste ministériel ressemble à un nom qu’un parent donne à son enfant. Alexandre Mbandi Esongi (2012 : 56) montre qu’en Afrique « chaque fois que l’on attribue un nom à l’enfant, on le fait non seulement en fonction de ce qu’il est ici, mais aussi de ce qu’il doit être demain ». En Anthropo – Bibliologie, le nom est non seulement un écrit, mais un projet, un programme de vie pour le nommé et pour son entourage.
Ainsi donc, la dénomination de chaque ministère constitue, pour chacun des heureux nominés, son projet, son programme ou plan d’action pour le bonheur des congolaises et congolais qui ont toujours désiré vivre dignement sur le sol de leurs aïeux.
Le séminaire gouvernemental organisé du 23 au 24 juillet 2021, à l’attention de ces chanceux nommés, avait pour finalité de les responsabiliser et sensibiliser davantage sur leurs tâches prioritaires.
Outre les tâches prioritaires de chaque ministère, l’ordonnance susmentionnée énonce des concepts nouveaux (nouvelles idées) dans la formulation de dénominations de certains ministères.
C’est le cas notamment des ministères de l’Environnement et Développement Durable, de la Fonction Publique, Modernisation de l’administration et Innovation du service public ; du Numérique ; de l’Entrepreneuriat, Petites et Moyennes Entreprises ; des Transports, Voies de communication et de Désenclavement ; de la Recherche scientifique et Innovation Technologique…
De toutes ces dénominations, je m’appesantis sur le ministère de la Fonction publique, modernisation de l’administration et innovation du service public. Car, toutes les dénominations des ministères concourent à la restauration de l’autorité de l’Etat. Cette dernière (restauration de l’autorité de l’Etat) devrait impérativement passer par la modernisation de l’administration publique. L’administration est, selon Mwayila Tshiyembe (2002 :188), la colonne dorsale, voire le bras séculier de l’Etat au moyen duquel ce dernier gouverne la société.
Fort du fait que l’écrit est un objet qui même dans ses manifestations les plus intimes reste toujours marqué par des codes et des normes totalement intériorisés par les acteurs, en dénichant ces nouveaux concepts, la question qui me vient à l’esprit est : la modernisation de l’administration et l’innovation du service public sont elles rendues selon la sémantique motivationnelle de l’ordonnance n°21/012 du 12 avril 2O221 ?
Pour répondre à cette question, j’ai fait recours à l’analyse synchronique de ces deux concepts et de la réalité observée sur terrain.
1. Modernisation de l’administration et innovation du service public
Moderniser l’administration congolaise, c’est l’adapter aux goûts et aux besoins modernes. La modernisation de l’Administration et l’innovation du Service Public impliquent qu’il soit fait table rase de la culture de l’incompétence, de l’arbitraire, de la crise de l’éthique du travail et du népotisme.
Voilà pourquoi, la modernisation de l’administration ne peut pas être réduite à la simple numérisation des services de l’administration publique.
Autrement dit, la modernisation de l’administration sous-entend aussi la bonne gouvernance. C’est cette modernisation de l’administration qui va de pair avec l’innovation du service public. Car, le service public est une activité d’intérêt général (soins de santé, éducation et formation, construction des routes et des maisons de logement…) assurée sous la maitrise de la puissance publique qui utilise les agents de l’Etat sous plusieurs formes dans les différents domaines d’intervention de l’Etat.
Pour ce faire, innover le service public, c’est commencer par l’amélioration des capacités de conception et de décision des administrations centrales et locales, développer les fonctions d’étude, de prospective et d’évaluation.
Tout compte fait, la dénomination du Ministère de la Fonction Publique, Modernisation de l’administration et Innovation du Service public exprime la volonté politique de rupture aux fins de la démarcation entre l’ancien régime et le nouveau régime.
La même volonté est aussi exprimée par l’attribution de ce ministère à un Vice Premier Ministre. Cette attribution vise à donner l’ascendance à l’animateur de ce ministère sur la plupart des services de l’Etat congolais qui utilisent les ressources humaines payées par ce dernier (l’Etat congolais).
Hélas, l’appropriation et l’intériorisation de cette volonté posent problème à telles enseignes qu’il y a un hiatus entre la modernisation de l’administration et la réalité actuelle vécue sur terrain.
2. Réalité actuelle de l’administration publique congolaise
Un fait indéniable et historique est que l’état piteux de notre administration publique a été aggravé au lendemain du 24 avril 1990. Après son discours présidentiel d’avènement de la 3ème République, Maréchal Mobutu Sese Seko a versé dans la Fonction Publique tous ceux qui étaient à son service(les militantes et militants du Mouvement Populaire de la Révolution(MPR), les membres de la Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution(JMPR), les membres de la Mobilisation, Propagande et Animation Politique (MOPAP), les membres de l’Union Nationale des Travailleurs du Zaïre (UNTZa), les animatrices et animateurs….).
Ces femmes et hommes qui s’occupaient, pour la plupart des temps, des activités essentiellement basées sur l’émotion, se sont vus confier des responsabilités qui leur demandaient de la rationalité dans l’administration publique. Aujourd’hui, ce sont eux qui sont des chefs statutaires et fonctionnels pour bien des postes.
Cette débâcle a fait que tout et alors tout, dans la fonction publique congolaise, soit prioritaire. D’où, il importait de choisir les priorités des priorités en sortant des sentiers battus du genre contrôle des effectifs, nettoyage du fichier …..
L’on se souviendra que dès le début de la 3ème République, 2006, tous les ministres qui sont succédés au ministère de la Fonction Publique n’ont eu que le contrôle des effectifs des Agents de l’Etat comme stratégie de gestion de ce ministère. Paradoxalement, les effectifs augmentaient après chaque contrôle.
Certes, il y a beaucoup à faire, mais les axes qui me paraissent porteurs de la démarcation, entre l’ancien régime et le nouveau régime, sont : Transformer les ressources humaines de l’Etat, restaurer la culture de l’écrit dans l’administration publique congolaise et mettre tout agent de l’Etat au travail.
3. Transformer les ressources humaines utilisées par l’Etat
La modernisation de l’administration publique et l’innovation du service public requièrent le renouvellement de la mentalité des agents de l’Etat. La stratégie de rénovation de la gestion des ressources humaines axée sur la transformation et la mobilité des agents de l’Etat devrait être privilégiée.
Il s’agit de la transformation sur le poste de travail qui est un moyen à la disposition de l’employeur pour développer le sens du travail de ses salariés afin qu’ils s’engagent résolument dans leur travail au quotidien. La transformation relève de la formation psycho socioprofessionnelle qui permet à l’employeur, comme le précise Jean Marie Peretti, d’adapter les compétences de ses employés aux besoins de l’entreprise. Face à ces besoins congolais contextualisés, on ne doit pas attendre que la Banque Mondiale, la BAD, le PNUD… viennent organiser des formations les agents de l’Etat congolais.
Le développement étant un processus inductif, les frais de fonctionnement et autres peuvent servir à l’organisation des séminaires, des ateliers, des conférences, des forums, des exposés, des achats des livres et revues pour que les employés congolais de l’Etat deviennent motivés et compétitifs.
A côté de cette transformation, la mobilité s’avère aussi nécessaire dans l’administration publique congolaise où les postes sont presque privatisés et personnalisés durant des décennies. Pourtant, l’une des six caractéristiques de l’administration publique selon Max Weber cité par GOULD (1975 :27) est que « le fonctionnaire ne peut ni s’approprier le poste ni les ressources qui s’y attachent ». Curieusement, en RDC, certains Secrétaires Généraux de l’administration publique, Directeurs, Chefs de Division, Chefs de Bureau et Directeurs Généraux des Etablissements ou Services de l’Etat ont fait de leurs postes des chasses gardées. Quatre ans après, l’avènement du nouveau régime ne s’est pas encore fait sentir dans ce domaine.
Tous ceux qui aspiraient à la promotion sont déçus et démotivés dans presque tous les services de l’administration publique à cause de la privatisation des postes publics. D’ailleurs, Van Illich (1926 – 2012) montre qu’au-delà d’un temps d’activité (5 à7 ans) sur un poste de travail, l’efficacité professionnelle décroit au risque de devenir négatif.
4. Restaurer la culture DE l’ecrit dans l’administration publique.
La République démocratique du Congo a choisi le type d’administration juridico – rationnel dont les archives font partie de ses six caractéristiques. Dans ce type d’administration, l’écrit est utilisé pour la lecture travail et l’écriture. Les actes posés sur base de l’utilisation de l’écrit sont conformes à la raison.
L’écrit est consécutif à la Scribalité qui est, selon Budimbani YAMBU (1996,130), « l’état d’une société qui s’est engagée de manière irréversible, à quelque degré que ce soit, dans le processus (Scribalité) où l’écrit est appelé de plus en plus à régir et à ordonner la vie de la société et en assurer la pérennité ». C’est depuis 1885 que la RDC est entrée dans la Scribalité.
La bonne gouvernance découle de l’utilisation de l’écrit. Car, elle a comme exigences la gestion transparente des affaires publiques, la justice distributive, l’équité… C’est dans ce sens que la bonne gouvernance est une forme technocratique de gestion, c’est-à-dire une gestion normée où les archives (écrits) ont une place prépondérante. Ceci suppose que la rationalité des actes des administrants est à découvrir à travers la conformité de ces derniers (actes) aux écrits. Joseph Ki -Zerbo (1967 : 273) précise que « seule l’écriture permet la remise en place d’un appareil étatique de grande envergure ».
Dans l’administration publique, l’écrit joue aussi le rôle d’une dialectique dualiste problème – solution, L’écrit est alors une communication bilatérale fondée essentiellement sur la rationalité.
Cependant, comme le stigmatise Basile Osokonda Okenge(2004 :1), l’écrit est la belle mère de beaucoup d’agents de l’Etat en RDC. Déjà, Mabika Kalanda (1965 :14) a montré que les écrits ne semblaient pas encore constituer un cadre de référence pour appuyer les décisions en Afrique. Qu’il soit tenu alors pour dit qu’un pays où l’écrit n’occupe la place qu’il mérite, ne peut ni se moderniser ni innover ses services.
Le triste sort réservé aux lettres adressées aux autorités congolaises aux différents niveaux permet d’illustrer la relation d’évitement des écrits évoquée par Mabika Kalanda et Osokonda. Ces lettres sont souvent restées des lettres mortes. Si on y réagit par acquit de conscience, c’est pour ne rien dire.
L’ampleur que prend le vocable ‘’ suivi – dossier ‘’ dans l’administration publique congolaise constitue un obstacle majeur à l’avènement de la modernisation de l’administration publique congolaise.
En pratique, suivre le dossier veut dire que tout expéditeur ou son proche doit se présenter à l’office de l’autorité à qui il a adressée sa lettre. Une fois présent à l’office, on lui présentera la traçabilité de sa lettre jusqu’à entrer peut être en contact avec l’agent qui traite son dossier. Par exemple, au secrétariat général de la fonction publique le ‘’ suivi- dossier’’ se fait les mardis et jeudi dans les avant midis, alors que la plupart des agents arrivent souvent à leurs bureaux à 10H. Au Ministère du porte feuille l’horaire de ‘’suivi – dossier’’ est affiché aux valves à l’entrée du Cabinet.
C’est dans le parcours de ‘’ suivi – dossier’’ que l’expéditeur – demandeur de service se ferait moralement torturer, voire escroquer de l’argent par les agents de l’Etat censés traiter les dossiers relevant de leurs attributions et pour lesquelles ils sont payés chaque mois.
Toujours dans le ‘’suivi – dossier’’, au – delà du fait qu’il y a l’effet de Halo qui va jouer sur le traitement du dossier, il sied de préciser que les concitoyens qui n’habitent pas la même ville que l’autorité à qui ils se sont adressés n’auront jamais de suite à leurs lettres. De même ceux qui ne font pas de ‘’ suivi – dossier’’ n’auront non plus de réponses à leurs lettres.
5. Mettre tout agent de l’Etat au travail
Dès l’intégration de la bonne gouvernance dans les administrations publiques, depuis les années 1990, à travers le monde, les fonctionnaires et agents de l’Etat sont aussi soumis à la nouvelle feuille de route managériale : effort et performance.
A ce sujet, les emplois étant pratiquement typiques dans presque tous les services de l’administration publique congolaise, le respect des job descriptions et la production d’un job description pour chaque type d’emploi là où il manque, allaient permettre à chacun des salariés congolais de l’Etat de travailler.
Mettre tout agent de l’Etat au travail permet l’équilibre droit – devoir. Le salaire (rémunération) est consécutif au travail rendu. Cependant, il est injuste de voir des personnes qui n’ont pas travaillé toucher leurs salaires à la fin de chaque mois, tout simplement parce qu’ils ont des numéro matricules.
L’injustice c’est aussi la cacophonie sur le barème salarial atypique. Comment expliquer que deux agents ayant le même grade et exerçant la même fonction dans une même administration ont des rémunérations différentes. Comment expliquer qu’une seule personne peut occuper deux ou trois emplois dans une même administration publique et y être payée conséquemment ? Est-ce une moquerie des fonctionnaires quand on sait que le seul salaire dont le montant, l’augmentation et la date de la paie sont hyper médiatisés, au Congo Kinshasa, soit celui des fonctionnaires de l’Etat ?
La modicité des salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat est exploitée par la plupart d’entre eux pour justifier leur inefficacité. A mon avis, cet argument pouvait être plausible si les fonctionnaires travaillaient à la même proportion que leurs salaires sont augmentés.
Dans son document intitulé « Evolution du pouvoir d’achat des fonctionnaires de l’Etat de la ville de Kinshasa en République démocratique du Congo de 1960 – 2018 », Professeur Yav Samutela Raphael fait une analyse diachronique du pouvoir d’achat d’un agent de l’Etat de la Ville de Kinshasa de la 1ère République jusqu’à la 3ème République en passant par la 2ème République.
Vantant le règne de Joseph Kabila Kabange, Yav Samutela montre qu’en 1996 le huissier pouvait acheter 60 grammes soit 0,06Kg de cossettes de manioc avec son salaire mensuel de 5250 NZ (nouveaux zaïres), Par contre, en 2016 le même huissier pouvait acheter 146Kg de cossettes avec son salaire mensuel de 80500FC. Samutela conclut que le pouvoir d’achat d’un fonctionnaire congolais de l’Etat a connu une amélioration sensible à la 3ème République par rapport à la 2ème République.
Bizarrement, le fonctionnaire a maintenu son rythme de travail de la 2ème République. « L’art le plus difficile n’étant pas de choisir les hommes, mais de donner aux hommes qu’on a choisis toute la valeur qu’ils peuvent avoir », comme le précise Napoléon Bonaparte, le besoin urge de transformer les agents de l’Etat, restaurer la culture de l’écrit et mettre chaque agent de l’Etat au travail. Car, ceux qui ne travaillent pas perdent en dignité et en âme et contribuent à l’affaiblissement d’un nouvel ordre sociopolitique. J’ai fait ma part.
Jean Joseph Ngandu
Anthropo – Bibliologue, Formateur Psycho Socio Professionnel et Secrétaire Général de l’Observatoire Congolais du Travail.
+ 243 994 994 872.
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